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  • Matteo Stulo

What is salsa? Un conte de Noël

Dernière mise à jour : 31 déc. 2020

Fan partage tous mes repas, le plus souvent accompagnée d’une ou deux amies, Qiuyu, Yidan, Peija ou Yin, qui se relaient pour me tenir compagnie. Je les appelle mes anges gardiennes. Elles n’ont guère plus de vingt ou vingt-deux ans au maximum. Fan s’occupe de toute la logistique pendant mon séjour à Pékin, comme me trouver des chaussures à ma pointure pour la partie de badminton que je dois disputer dans la semaine, me servir de guide pour la visite du Palais d’été ou du parc Yuanmingyuan, me réserver une entrée pour le musée national ou m’initier à toutes les subtilités de la gastronomie pékinoise. A l’issue de ma première conférence, elle était venue me trouver, m’avait remercié et m’avait avoué qu’elle et ses amies m’avaient trouvé un air de Steve Jobs, le fondateur d’Apple.

- He is so handsome.

Que répondre à cela ?

- Thank you, I am honored…


Avant ma deuxième conférence, je pris néanmoins la peine de visionner quelques photos de Steve Jobs sur Internet. Je soignai mon look, jeans, pull noir à col rond et lunettes à fine monture. Ça devait faire l’affaire.

Aujourd’hui, après la visite du mausolée de Mao Zedong, nous allons déjeuner, avec Fan, Qiuyu et Peija, dans un vieux restaurant traditionnel de Pékin, proche de la place Tiananmen. Des trois, Fan est celle qui a le plus d’assurance, malgré son air à peine sortie de l’adolescence. Il lui arrive de se mettre à sauter sur place à pieds joints en battant des mains, comme le font les petites filles à qui on annonce une surprise. Elle s’exprime dans un anglais parfait à l’accent très british. Qiuyu est la plus réservée et Peija la plus jolie. Elles se concertent pour choisir les plats. Assortiment de raviolis à la vapeur, salade de bulbes de lys et d’ignames, salade de méduses, canard laqué pékinois et de l’eau chaude pour boisson.

Petits conciliabules entre filles. Elles me jettent des regards en coin, rapprochent leur tête et se mettent à parler à voie basse en chinois, comme si je pouvais comprendre ce qu’elles disent et qu’elles ne voulaient pas que je l’entende. De temps à autre mon nom est prononcé dans la conversation. J’imagine à quoi ressemble leur dialogue.

- J’aimerai bien savoir si Pascal…

- Demande-lui

- Je n’ose pas (petit rire)

- Mais si vas-y (petit rires des trois, regards dérobés jetés dans ma direction)

- Tu crois que je peux lui demander ?

- Mais oui…

- Non toi, vas-y

- Mais que tu es bête ! C’est toi la plus jolie

- Comment on dit en anglais…

- …

- Bon j’y vais, mais vous ne vous moquez pas de moi les filles


Tout en m’évertuant à attraper du bout de mes baguettes un bulbe de lys glissant, je surveille leur manège du coin de l’œil, mais je fais comme si je n’avais rien remarqué. Peija, la plus jolie des trois, se tourne alors vers moi et me demande:

- Professor Pascal, I have a question, have you ever had a dream as a child that became true when you're grown up?

Une autre fois, c’est Qiuyu qui me demande à brûle pourpoint :

- Professor, I have a question for you. Why do French men have the reputation to be the most romantic in the world? Can you tell us how they do it with women?

Leurs questions me prennent au dépourvu à chaque fois.

- They buy a hundred of red roses, je fais...

Elles prennent généralement cette précaution oratoire, Professor, I have a question… avant de poser leur question. Seule Yin, la veille au dîner, m’avait demandé sans détour :

- How do you say I love you in French ?

Son propos avait déclenché l’hilarité des autres. Yin pouvait dire je t’aime dans vingt-trois langues différentes, m’avait- expliqué Fan. Quelques minutes plus tard, le même manège reprend, conciliabule, petit rires, puis Peija, toujours elle, me regarde. Elle a la peau très blanche, des mains fines et de jolis yeux en amandes qui me fixent. Je fonds littéralement sur ma chaise. Elle me dit :

- Professor, do you go out for dancing in Paris?

Mon cœur se met à battre la chamade. Grand moment d’espoir. Vais-je arriver à les entraîner un soir au Salsa Caribe de Pékin avec moi ? Steve Jobs dans son numéro de salsa, ça vaut le déplacement tout de même, non ? Steve, Pascal ou Matteo (Matteo est le nom sous lequel je me présente aux salseras du Salsa Caribe), je ne sais plus trop où j’en suis, mais je ne suis pas à cela près.

Je leur avais lancé une perche quelques jours auparavant, en leur demandant :

- Girls, what do you do at night or during the week-end? Sleeping, sports, or something else?

Et comme elles prenaient le temps de réfléchir avant de répondre, j’avais ajouté, l’air détaché, mais c’était là où je voulais en venir :

- Or dancing may be ?

- Oh no, no, not dancing, m’avaient-elles répondu en rosissant toutes les trois d’un bel ensemble. Sleeping or chatting with friends, we go shopping or watch movies.

J’avais décidé de ne plus remettre le sujet sur la table. Donc lorsque Peija me demande aujourd’hui si je danse à Paris, je réponds par un enthousiaste :

- Yes, I do !

Et dans l’élan d’euphorie qui s’empare de moi, je réussis enfin à saisir du bout de mes baguettes un morceau de méduse séchée que j’engloutis derechef. Exclamations d’étonnement, petits rires.

- What kind of dancing?

- Latin dance

Cris d’admiration. Je frétille comme un poisson au bout de la ligne.

- Is it fast?

- I beg your pardon.

- Is it fast, the figures are they fast or slow?

- Both, it can be fast or slow. It’s salsa you know…

- What?

- Salsa

- What is salsa?


Je suis dépité devant l’incompréhension que je lis dans leur regard mais j’essaie de faire bonne figure. Peut-être que je prononce mal. Il faut savoir que c’est assez compliqué. Par exemple leur c se prononce ts, h se prononce r, q sonne comme tch et x comme ch, zh devient dj et leur r ressemble au j français.

- Salsa, je repète, chalcha, zalza, tsaltsa, xalxa, guttural du fond de la gorge ou pincé venant du nez …

- Ce n’est pas possible, me dis-je pris d’une sorte de panique, nul n’est censé ignorer ce qu’est la salsa. J’essaie sur tous les tons, je m’agite, un monde semble s’écrouler autours de moi. Rien n’y fait. J’ai alors une sorte d’illumination. Je sors mon cell phone de ma poche pour leur faire écouter l’un des plus beaux morceaux de son cubain que je connaisse, Ella si va d’Eliades Ochoa.

- It sounds like Indian music, me dit Qiuyu.

Cette fois-ci je renonce. J’irai danser seul ce soir.

**********

Le soir venu, je laisse Fan devant l’hôtel où elle m’a raccompagné après le dîner dans un restaurant mongol où les plats, raviolis à la viande et un savoureux ragoût de mouton, sont apportés par des serveurs coiffés d’un bonnet de père Noël. Nous nous souhaitons mutuellement bonne nuit que je m’efforce de prononcer correctement: Wan an, Fan

J’aperçois à travers la porte tambour le grand sapin décoré qui trône dans le lobby de l’hôtel. La nuit est tombée et l’air glacial, presque cristallin, avec des températures largement négatives depuis mon arrivée. La lueur crémeuse d’une lune toute ronde adoucit l’obscurité du ciel. Je me change et, emmitouflé de plusieurs couches pour affronter le froid nocturne, je ressors à la recherche d’un taxi. Je tends au chauffeur l’adresse du Salsa club écrite en chinois. Il me dit quelque chose que je ne comprends pas. A cette heure la circulation est fluide. Je vois défiler de chaque côté de l’autoroute urbain la masse sombres des tours et des constructions de verre et de métal. Enseignes géantes et idéogrammes multicolores en néon défient les ténèbres. Le taxi me dépose dans le quartier de Sanlitun à l’entrée du Salsa Caribe. Un air de mambo m’enveloppe dès le seuil du club où le préposé au vestiaire, un vieil homme très digne, à qui j’octroie un généreux pourboire de dix Yuan chaque soir, m’accueille avec beaucoup de chaleur, comme un ami de longue date. A l’intérieur, une vingtaine de couples évoluent sur le dance floor. La plupart se révèlent d’excellents danseurs de portoricaine, un style de salsa qui m’est étranger. Les gestes sont fluides, les mouvements du buste et du bassin se font tour à tour sensuels, ambigus et provocants, les danseurs semblent glisser sur le parquet, comme en apesanteur, plutôt qu’ils ne marchent, les corps ondulant et virevoltant se séparent, se frôlent ou s’étreignent tout en demeurant insaisissables. A plusieurs reprises de jeunes hommes forment des couples et dansent ensemble avec une grâce et une élégance toute féline. Je me laisse porter par la musique et ne me lasse pas du spectacle. Je danse avec quelques occidentales qui sont la plupart du temps plus réceptives que les asiatiques à la salsa cubaine.

Une jeune asiatique, des yeux de velours dans un beau visage ovale, de longs cheveux noirs sur ses épaules nues et un joli sourire en prime s’approche pour m’inviter.

- Do you mind dancing Cuban salsa with me?

Après quelques maladresses, nous nous accordons. Son corps mince semble aussi léger qu’un voile de soie et réagit parfaitement entre mes bras aux infimes pressions ou injonctions que je lui transmets pour lui indiquer la direction des mouvements et des figures.

Après avoir enchainé plusieurs danses à la suite, je lui propose d’aller prendre un verre au bar. Elle se présente alors: My name is Julie

Du moins est-ce ainsi que je transcrits mentalement son nom, qui doit plutôt être quelque chose comme Zhu Lin.

- Nice to meet you Julie (ou Zhu Lin), I’m Matteo

Nous commandons des mojitos.

- Cheers, fait-elle en levant son verre!

- Santé! dis-je, puis j’ajoute: or sometimes we say tchin-tchin!

- Tchin-tchin ! s’exclame-t-elle, en éclatant de rire, Tchin-tchin ! Tchin-tchin, répète-t-elle, toujours en riant.

Je ne vois pas ce qui semble si drôle à Julie (ou Zhu Lin), mais depuis mon arrivée à Pékin, il m’est si souvent arrivé d’avoir honte de mon ignorance sur tout ce qui touche à l’histoire ou la culture chinoise que je renonce à comprendre.

Julie (ou Zhu Lin) me fixe, soudain rêveuse. Ses yeux deviennent des fentes et son regard d’encre une eau sans fond. Elle pose son verre sur le bar, penche légèrement la tête sur le côté. Le mouvement de sa tête imprime une ondulation à sa chevelure qui m’évoque celle des longues branches des saules au bord de l’étang, recouvert d’une fine couche de glace, du Jardin Harmonieux au Palais d’été. Elle rapproche sa tête de la mienne, je sens l’odeur de sa peau. Ses cheveux effleurant ma joue et le souffle tiède de son haleine dans mon cou réveillent une agréable sensation. Elle approche sa bouche de mon oreille et murmure :

- Do you know what Qin-qin means in Chinese? (la transcription du mot chinois Qin qin se prononce tchin tchin)

- No…

- It means kiss kiss (bisous bisous).

Je suis sur le point de m’excuser pour cet impair, lorsqu’elle elle saisit doucement le lobe de mon oreille entre ses lèvres, puis laisse courir sa bouche le long de ma joue en l’effleurant à peine et, comme si elle avait perçu l’imperceptible accélération de mon cœur et l’afflux de sang dans mes tempes et avait cherché à les apaiser, elle pose sa main sur ma joue, puis se laissant aller contre moi elle attrape ma lèvre inférieure et la mordille doucement. Je place mon bras autours de sa taille, je l’attire doucement vers moi, puis lui saisissant la main, je l’entraîne sur la piste de danse.

Pékin, décembre 2013

© Matteo Stulo

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